Depuis quelques semaines, la planète Nudge, principalement les chercheurs en psychologie sociale, monte au créneau des réseaux sociaux pour participer à l’effort de « guerre » contre la pandémie Covid-19. Mais qu’en est-il réellement, et peut-on nudger dans ce contexte pour le moins particulier ?
En France, BVA Nudge Unit travaillerait conjointement avec la Direction Interministérielle de la Transformation Publique (DITP), et produirait
des recommandations quotidiennes à l’Elysée et au Ministère de la Santé. Quotidiennes ? Diantre, pourtant en veille active je n’ai rien vu passer…
aucun Nudge français « anti Covid-19 » à l’horizon.
L’Angleterre semble en revanche avoir une longueur d’avance grâce au Behavioural Insights Team, Nudge Unit du gouvernement actuel. Cette structure annonce
en effet avoir travaillé sur la problématique comportementale du lavage
des mains dans le contexte que nous connaissons, en testant 7 campagnes
de communication menées dans des pays différents avec pour but d’aider
au suivi de cette consigne (https://www.bi.team/blogs/bright-infographics-and-minimal-text-make-handwashing-posters-most-effective/).
Leur conclusion est sans appel : les affiches les plus efficaces sont celles qui détaillent clairement chaque étape et qui utilisent peu de texte. Bref, de bonnes vieilles infographies comme les agences de communication en pondent depuis des lustres. Ou quand l’éléphante chère à Richard Thaler et Cass Sunstein accouche d’une souri… Merci au passage pour cette riche contribution qui, je n’en doute pas, incitera entreprises et institutions à l’utilisation du Nudge dans le futur.
Mais quel biais aurait frappé ces spécialistes pour qu’ils ressentent autant
le besoin d’apporter immédiatement des réponses aux problématiques comportementales associées au Covid-19 ?
Comment peuvent-ils être amenés à renier des fondamentaux du Nudge
qu’eux-mêmes défendaient quelques mois auparavant ?
Le Nudge repose en effet sur un premier prérequis : l’analyse rigoureuse
du contexte où il est demandé de se comporter vertueusement.
Or, le contexte que nous propose le Covid-19 est totalement nouveau pour nous tous. Et, à ma connaissance, nous ne disposons à date d’aucune étude terrain exploratoire, en France ou ailleurs, pour déterminer les biais cognitifs qui viennent impacter nos décisions dans cette séquence mondiale de confinement presque total. Or, sans connaître l’ensemble de ces biais, pas d’action Nudge possible.
En revanche, nous pouvons aujourd’hui collecter des données qui pourront être précieuses pour actions lors d’une éventuelle seconde vague infectieuse…
Deuxième prérequis avant de déclencher la recherche d’une solution Nudge :
que le contexte sur lequel intervenir soit « propre ».
C’est-à-dire que tout ce qui est d’ordre strictement matériel soit présent
pour permettre le suivi de la consigne : avant de réfléchir à un dispositif qui incite à tenir la rampe dans un escalier par exemple, avons-nous bien 2 mains courantes à disposition, une à gauche et une à droite ? Et, concernant la problématique qui nous concerne aujourd’hui, le contexte est loin d’être nickel ! Comment demander aux citoyens de suivre des consignes ayant trait au confinement quand ces règles ne sont pas clairement définies ? Ou quand l’état, lui-même, ne respecte pas certaines règles matérielles fondamentales d’actions contre le virus, comme un nombre suffisant de masques de protection par exemple ? Et bien au-delà, comment amener toute une population à se comporter de façon altruiste (« je me protège pour protéger l’autre ») alors que notre société promeut l’individualisme ?
Prétendre aujourd’hui pouvoir sur le terrain aider à la prise de décision,
dans le cadre de cette séquence Covid-19 toujours en cours, n’est qu’une posture. Une posture guidée par le désir d’être le premier à dégainer le Nudge qui sauvera l’humanité de la pandémie. Tout comme la bataille qui emballe laboratoires
et universités dans la recherche d’un traitement médical… Nous sommes tous, sans aucune exception, sidérés au sens strict du terme face à cet évènement tragique. Comme un lapin aveuglé par les phares d’une voiture. Peut-être faudrait-il humblement accepter de ne donner son avis ou ses conseils qu’une fois
la séquence Covid-19 passée et analysée. Hors de tout biais d’affect ou de sur-confiance. Bref, accepter d’être un spécialiste du Nudge qui pour l’instant…
se la ferme.
« Peut-être faudrait-il humblement accepter de ne donner son avis ou ses conseils qu’une fois la séquence Covid-19 passée et analysée »
Cela va à l’encontre de la réactivité et de l’opportunisme qui caractérisent la démarche entrepreneuriale à l’heure des réseaux sociaux…! 🙂
Le nudge , dans le cas de la sécurité, consiste à faire la promotion de la prévention en acquérant des réflexes dirigés par l’émotion beaucoup plus forts que le fait de prendre des décisions appuyées sur le rationnel : « Rationalité limitée et sécurité » : https://www.officiel-prevention.com/dossier/formation/conseils/rationalite-limitee-et-securite-au-travail
Dès le début de cette pandémie, je me trouvais consterné de nous voir tous incapable de réagir devant cet ennemi invisible. Et aussi parce que nous ne savons pas sortir de nos habitudes, de nos routines et que l’intelligence collective n’existe que dans les ateliers professionnels. J’avais publié un article pour dire que le Nudge est LA solution. Loin de moi l’idée de me mettre en avant dans ce commentaire mais au risque de perdre notre humilité ne pouvons nous agir immédiatement ? https://www.linkedin.com/pulse/le-nudge-contre-corona-virus-emmanuel-lan%C3%A7on/